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jeunes têtes ! que Mattea chercha à se pénétrer de cet amour chimérique et à se persuader que, depuis plusieurs jours, elle en avait ressenti les mystérieuses atteintes.

— Non, se disait-elle, je n’ai point menti, je n’ai point avancé au hasard une assertion folle. J’aimais sans le savoir ; toutes mes pensées, toutes mes espérances se reportaient vers lui. Au moment du péril, dans la crise décisive du désespoir, mon amour s’est révélé aux autres et à moi-même ; ce nom est sorti de mes lèvres par l’effet d’une volonté divine, et, je le sens maintenant, Abul est ma vie et mon salut.

En parlant ainsi à haute voix dans sa chambre, exaltée, belle comme un ange dans sa vive rougeur, Mattea se promenait avec agitation et faisait voltiger son éventail autour d’elle.


IV

Timothée était un petit homme d’une figure agréable et fine, dont le regard un peu railleur était tempéré par l’habitude d’une prudente courtoisie. Il avait environ vingt-huit ans, et sortait d’une bonne famille de Grecs esclavons, ruinée par les exactions du pouvoir ottoman. De bonne heure il avait couru le monde, cherchant un emploi, exerçant tous ceux qui se présentaient à lui, sans morgue, sans timidité, ne s’inquiétant pas, comme les hommes de nos jours, de savoir s’il avait une vocation, une spécialité quelconque, mais s’occupant avec constance à rattacher son existence isolée à celle de la foule. Nullement fanfaron, mais fort entreprenant, il abordait tous les moyens de faire fortune, même les