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lui faire sa cour. Eh bien, malgré tout cela, voilà que, du jour au lendemain, et sans avertir personne, elle s’est monté la tête pour quelqu’un que je n’ose pas seulement nommer.

— Pour qui, grand Dieu ? s’écria Veneranda ; est-ce le respect ou l’horreur qui glace ce nom sur vos lèvres ? est-ce de votre vilain bossu garçon de boutique ; est-ce du doge que votre fille est éprise ?

— C’est pis que tout ce que Votre Excellence peut imaginer, répondit ser Zacomo en s’essuyant le front : c’est d’un mécréant, c’est d’un idolâtre, c’est du Turc Abul.

— Qu’est-ce que cet Abul ? demanda la princesse.

— C’est, répondit Zacomo, un riche fabricant de ces belles étoffes de soie de Perse, brochées d’or et d’argent, que l’on façonne à l’île de Scio, et que Votre Excellence aime à trouver dans mon magasin.

— Un Turc ! s’écria Veneranda ; sainte madone ! c’est en effet bien déplorable, et je n’y conçois rien. Amoureuse d’un Turc, ô Spada ! cela ne peut pas être ; il y a là-dessous quelque mystère. Quant à moi, j’ai été, dans mon pays, poursuivie par l’amour des plus beaux et des plus riches d’entre eux, et je n’ai jamais eu que de l’horreur pour ces gens-là. Oh ! c’est que je me suis recommandée à Dieu dès l’âge où ma beauté m’a mise en danger, et qu’il m’a toujours préservée. Mais sachez que tous les musulmans sont voués au diable, et qu’ils possèdent tous des amulettes ou des philtres au moyen desquels beaucoup de chrétiennes renient le vrai Dieu pour se jeter dans leurs bras. Soyez sûr de ce que je vous dis.

— N’est-ce pas une chose inouïe, un de ces malheurs qui ne peuvent arriver qu’à moi ? dit M. Spada. Une fille si belle et si honnête !

— Sans doute, sans doute, reprit la princesse ; il y a