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mère. Plusieurs viennent marchander mes étoffes pour avoir le plaisir de lui adresser quelques mots, et ceux qui ne sont point malappris achètent toujours quelque chose, ne fût-ce qu’une paire de bas de soie ; c’est toujours cela. Dame Loredana, mon épouse, qui certes est une femme alerte et vigilante, avait élevé cette pauvre enfant dans de si bons principes, que jamais jusqu’ici on n’avait vu une fille si réservée, si discrète et si honnête ; toute la ville en témoignerait.

— Certes, reprit la princesse, il est impossible d’avoir un maintien plus convenable que le sien, et j’entendais dire l’autre jour, dans une soirée, que la Mattea était une des plus belles personnes de Venise, et que sa beauté était rehaussée par un certain air de noblesse et de fierté qui la distinguait de toutes ses égales et la faisait paraître comme une princesse au milieu d’un troupeau de soubrettes.

— Cela est vrai, par le Christ, vrai ! répéta ser Zacomo d’un ton mélancolique. C’est une fille qui n’a jamais perdu son temps à s’attifer de colifichets, chose qui ne convient qu’aux dames de qualité ; toujours propre et bien peignée dès le matin, et si tranquille, si raisonnable, qu’il n’y a pas un cheveu de dérangé à son chignon dans toute une journée ; économe, laborieuse, et douce comme une colombe ; ne répondant jamais pour se dispenser d’obéir ! silencieuse que c’est un miracle, étant fille de ma femme ! enfin un diamant, un vrai trésor. Ce n’est pas la coquetterie qui l’a perdue ; car elle ne faisait nulle attention à ses admirateurs, pas plus aux honnêtes gens qui venaient acheter dans ma boutique qu’aux godelureaux qui en encombraient le seuil pour la regarder. Ce n’est pas non plus l’impatience d’être mariée ; car elle sait qu’elle a à Mantoue un mari tout prêt, qui n’attend qu’un mot pour venir