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hors de doute qu’elles appartenaient à leur tête, et ser Zacomo, en faisant à sa famille la description du cheval, déclarait que cet ornement naturel était ce qu’il y avait de plus beau dans l’animal extraordinaire apporté de la terre ferme. Il le rangeait, d’ailleurs, dans l’espèce du bœuf, et encore aujourd’hui beaucoup de Vénitiens ne connaissent pas le cheval sous une autre dénomination que celle de bœuf sans cornes, bue senza corni.

Ser Zacomo était méfiant à l’excès quand il s’agissait de risquer un sequin dans une affaire, crédule comme un enfant et capable de se ruiner quand on savait s’emparer de son imagination, que l’oisiveté avait rendue fort impressionnable ; laborieux et actif, mais indifférent à toutes les jouissances que pouvaient lui procurer ses bénéfices ; amoureux de l’or monnayé, et dilettante di musica, bien qu’il eût la voix fausse et battît toujours la mesure à contre-temps ; doux, souple, et assez adroit pour régner au moins sur son argent sans trop irriter une femme acariâtre ; pareil d’ailleurs à tous ces vrais types de sa patrie, qui participent au moins autant de la nature du polype que de celle de l’homme.

Il y avait bien une trentaine d’années que M. Spada fournissait des étoffes et des rubans à la toilette effrénée de la princesse Gica ; mais il se gardait bien de savoir le compte des ans écoulés lorsqu’il avait l’honneur de causer avec elle ; ce qui lui arrivait assez souvent, d’abord parce que la princesse se livrait volontiers avec lui au plaisir de babiller, le plus doux qu’une femme grecque connaisse ; ensuite parce que Venise a eu en tout temps les mœurs faciles et familières qui n’appartiennent guère en France qu’aux petites villes, et que notre grand monde, plus collet monté, appellerait du commérage de mauvais ton.

Après s’être fait expliquer l’accident qui avait lancé