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un regard de béatitude. Là étaient réunis l’enthousiasme d’artiste, la bonté, la poésie, l’affection, et au-dessus planait encore la sagesse, c’est-à-dire le sentiment du beau moral, le respect de soi-même, le courage du cœur. Pauline pensait rêver, elle ne pouvait se décider à croire ce qu’elle voyait ; peut-être y répugnait-elle par la crainte de se trouver inférieure à Laurence.

Malgré ces doutes et ces angoisses secrètes, Pauline fut admirable dans ses premiers rapports avec de nouvelles existences. Toujours fière dans son indigence, elle eut la noblesse de savoir se rendre utile plus que dispendieuse. Elle refusa avec un stoïcisme extraordinaire chez une jeune provinciale les jolies toilettes que Laurence lui voulait faire adopter. Elle s’en tint strictement à son deuil habituel, à sa petite robe noire, à sa petite collerette blanche, à ses cheveux sans rubans et sans joyaux. Elle s’immisça volontairement dans le gouvernement de la maison, dont Laurence n’entendait, comme elle le disait, que la synthèse, et dont le détail devenait un peu lourd pour la bonne madame S… Elle y apporta des réformes d’économie, sans en diminuer l’élégance et le confortable. Puis, reprenant à de certaines heures ses travaux d’aiguille, elle consacra toutes ses jolies broderies à la toilette des deux petites filles. Elle se fit encore leur sous-maîtresse et leur répétiteur dans l’intervalle des leçons de Laurence. Elle aida celle-ci à apprendre ses rôles en les lui faisant réciter ; enfin elle sut se faire une place à la fois humble et grande au sein de cette famille, et son juste orgueil fut satisfait de la déférence et de la tendresse qu’elle reçut en échange.

Cette vie fut sans nuage jusqu’à l’entrée de l’hiver. Tous les jours, Laurence avait à dîner deux ou trois vieux amis ; tous les soirs, six à huit personnes intimes