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LA MARQUISE


I


La marquise de R… n’était pas fort spirituelle, quoiqu’il soit reçu en littérature que toutes les vieilles femmes doivent pétiller d’esprit. Son ignorance était extrême sur toutes les choses que le frottement du monde ne lui avait point apprises. Elle n’avait pas non plus cette excessive délicatesse d’expression, cette pénétration exquise, ce tact merveilleux qui distinguent, à ce qu’on dit, les femmes qui ont beaucoup vécu. Elle était, au contraire, étourdie, brusque, franche, quelquefois même cynique. Elle détruisait absolument toutes les idées que je m’étais faites d’une marquise du bon temps. Et pourtant elle était bien marquise, et elle avait vu la cour de Louis xv ; mais, comme ç’avait été dès lors un caractère d’exception, je vous prie de ne pas chercher dans son histoire l’étude sérieuse des mœurs d’une époque. La société me semble si difficile à connaître bien et à bien peindre dans tous les temps, que je ne veux point m’en mêler. Je me bornerai à vous raconter de ces faits particuliers qui établissent des rapports de sympathie irrécusables entre les hommes de toutes les sociétés et de tous les siècles.