Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/103

Cette page n’a pas encore été corrigée

bli des maux qu’on a soufferts ; mais que l’image du passé se lève, que l’ancienne idole reparaisse, et nous sommes encore prêts à plier le genou devant elle. Oh ! fuyez ! fuyez, fantôme et mensonge ! vous n’êtes qu’une ombre, et, si je me hasardais à vous suivre, vous me conduiriez encore parmi les écueils pour m’y laisser mourante et brisée. Fuyez ! je ne crois plus en vous. Je sais que vous ne disposez pas de l’avenir, et que, si votre bouche est sincère aujourd’hui, la fragilité de votre cœur vous forcera de mentir demain.

» Et pourquoi vous accuserais-je d’être ainsi ? ne sommes-nous pas tous faibles et mobiles ? Moi-même, n’étais-je pas calme et froide quand je vous ai abordé hier ? n’étais-je pas convaincue que je ne pouvais pas vous aimer ? n’avais-je pas encouragé les prétentions du comte de Morangy ? Et pourtant, le soir, quand vous étiez assis près de moi sur ce rocher, quand vous me parliez d’une voix si passionnée au milieu du vent et de l’orage, n’ai-je pas senti mon âme se fondre et s’amollir ? Oh ! quand j’y songe, c’était votre voix des temps passés, c’était votre passion des anciens jours, c’était vous, c’était mon premier amour, c’était ma jeunesse que je retrouvais tout à la fois !

» Et puis, à présent que je suis de sang-froid, je me sens triste jusqu’à la mort ; car je m’éveille et me souviens d’avoir fait un beau rêve au milieu d’une triste vie.

» Adieu, Lionel. En supposant que votre désir de m’épouser se fût soutenu jusqu’au moment de se réaliser (et, à l’heure qu’il est, peut-être, vous sentez déjà que je puis avoir raison de vous refuser), vous eussiez été malheureux sous l’étreinte d’un lien pareil ; vous auriez vu le monde, toujours ingrat et avare de louanges devant nos bonnes actions, considérer la vôtre comme l’accomplissement d’un devoir, et vous refuser le