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d’une femme, pour ensevelir la sienne sous un béguin plissé, recouvert d’une voilette de crêpe noir nouée sous le menton, en attendant, disait-on encore, le voile d’étamine qu’elle était résolue à prendre en prononçant des vœux éternels.

Ses mains, couvertes à demi par de grosses mitaines tricotées, et ses pieds, chaussés de petits sabots de jardin, me parurent effilés et un peu trop longs. Dans sa figure aussi, il y avait des lignes qui rappelaient le type des personnes contrefaites, car on pouvait dire qu’elle était une bossue manquée ; mais si bien manquée en tant que bossue, qu’il en restait une personne frêle, souple, et d’un charme inexprimable.

Sa taille s’était comme affaissée à l’âge où les jeunes filles sortent, soit en guêpe, soit en papillon, soit en sauterelle, de l’étroite et mystérieuse chrysalide de l’enfance. Avec un peu de soin et d’attention, on l’eût aisément redressée. Mais sa mère était trop dévote pour songer à l’avantage des agréments extérieurs, et Juliette elle-même, dépourvue de coquetterie et de personnalité, s’était abandonnée sans résistance à une sorte d’étiolement prématuré.

Telle qu’elle était, et peut-être même à cause du problème que renfermait ce mélange d’imperfection et de charme, elle m’impressionna vivement. Elle ne ressemblait à personne. Sa voix avait une douceur inouïe, et un léger accent provincial prenait chez elle tant de mélodie