Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/267

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et de ma simplicité à une conscience relâchée par la corruption du monde. Oui, ce doit être cela, car je me rappelle le plaisir que j’éprouvais à lire ses lettres, lorsqu’il m’écrivait qu’il me devait sa réhabilitation, et, de même, le chagrin que j’avais quand il se remettait à tout nier et à me contredire. C’était une lutte entre nous ! Et moi, sainte Tranquille, comme on m’appelait, je prenais à cette lutte morale un plaisir nouveau et inconnu.

» Je ne puis que vous répéter ici ce que je vous ai déjà dit de mon ignorance en matière d’amour. Vous m’avez beaucoup affligée et humiliée en me disant plusieurs fois que j’aimais d’amour Albany. Je ne veux pas le croire ; je veux mourir avec la conviction que je n’ai jamais connu que l’amitié, et que Narcisse a obtenu de la mienne un sacrifice que nul autre n’eût jamais pu obtenir, celui de ma liberté morale et de ce vœu de chasteté mystique longtemps caressé en moi comme un rêve sublime. Oui, je l’avoue, j’ai toujours regretté le serment que ma mère m’avait arraché de ne pas me consacrer à Dieu seul avant l’âge de trente ans. Si j’eusse pu prendre le voile à l’époque de ma majorité, je ne mourrais peut-être pas aujourd’hui ! Mais les années de liberté que j’ai subies m’ont forcément créé des liens d’affection que j’ai senti ne pouvoir plus et ne devoir plus briser. Et voilà qu’au moment de me consacrer au bonheur d’un être en particulier, je m’en vas en langueur et en faiblesse, comme