Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bougies sur la table, et le feu avait cessé de flamber. Les ombres fortement accusées, creusèrent les yeux, tout à l’heure si purs, et les lignes du visage s’accusèrent profondément. Le corps, fatigué, s’affaissa sur lui-même, et la personne devint si courbe et si ployée, que je crus voir une petite centenaire, et que Narcisse m’apparut alors comme un fils pieux, attendant avec douleur et résignation le moment de la prendre dans ses bras pour la déposer dans la tombe.

Les cris joyeux des enfants, qui étaient allés à la cuisine et qui revenaient annoncer la soupe, dissipèrent les incompréhensibles vertiges auxquels j’étais en proie. On apporta de la lumière, chacun reprit son aspect habituel, et je trouvai seulement Juliette un peu plus pâle que de coutume. Je lui demandai si elle était fatiguée, elle me répondit en souriant :

— Je n’en sais rien ; je sais seulement que j’ai faim.

Elle mangea aussi peu que les autres jours, mais en ayant l’air d’y prendre plus de plaisir. Jamais je ne l’avais vue si enjouée, et cette gaieté fine et caressante avait un charme inexprimable. Quand on eut dîné, Sylvie s’endormit, le nez dans son assiette, et mademoiselle d’Estorade alla elle-même la coucher.

— Eh bien, mon ami, dis-je à Narcisse en passant au salon, n’êtes-vous pas plus heureux aujourd’hui qu’il y a quelques jours ?