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petites journées, de village en village, dans le plus romantique pays de la terre et par tous les chemins possibles ou impossibles. Cette flânerie, au cœur de l’hiver, eût paru insensée à des gens moins endurcis que nous aux hasards de la température et aux fatigues de la promenade. Mais la nature était magnifique à travers la brume rose du jour et sous le voile matinal de la gelée blanche. Le doux soleil de midi irisait les perles liquides pendues à toutes les herbes, et les arbres dépouillés accusaient les nobles formes de leur branchage, souvent trop voilées sous la feuillée de la belle saison. Tout nous semblait riant ou singulier, et tous les inconvénients de la route furent pris en bonne part. Sylvie et ma fille chantaient comme deux merles et folâtraient comme deux chevreaux au bord des ravins. Juliette, plus gaie et plus sensible aux choses extérieures que je ne l’avais jamais vue, semblait goûter un plaisir réel à enterrer le souvenir du passé pour saluer le sourire de l’avenir. Narcisse, en la voyant ainsi, était, par moments, plongé dans une muette ivresse. On eût dit qu’il craignait d’être réveillé au milieu d’un rêve de bonheur.

Le quatrième jour, avant midi, nous fûmes de retour à Estorade. Le temps s’était mis décidément au froid. Il avait gelé assez fort pour que les eaux fussent prises. Juliette nous demanda de lui sacrifier le reste de la journée. Elle voulait voir avec nous le ravin de la