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— À présent, c’est presque une femme, et, comme c’est toujours un ange, je sens qu’amoureux ou non comme on l’entend dans la vie ordinaire, je ne me détacherai jamais de ce souvenir. J’aurai toujours cette vision du ciel dans l’imagination, et ne verrai qu’avec dédain la robuste et matérielle beauté qui, ailleurs, me tend les bras sans émouvoir ni mon esprit ni mon cœur.

— Et c’est pourtant une robe de soie substituée à une robe de bure, qui a fait en vous ce miracle ! car mademoiselle d’Estorade est la même personne qui m’est apparue, à moi, il y a un an, et dont j’ai dit, avec un esprit tout à fait tranquille et désintéressé : « Voici une vierge qui, sans être belle, efface toutes les beautés de la terre. »

Je m’aperçus que j’avais tort de dire ainsi mon opinion sur Juliette ; car je rendais Albany tout à fait amoureux. Comme, par moments, il parlait très-bien, je faillis m’y laisser prendre ; mais quelques naïvetés lui revinrent qui me détrompèrent. Il était la proie d’un caprice subit, du dépit d’avoir manqué son effet, et il était résolu à manquer son riche mariage de Nantes, plutôt que de s’en aller humilié et pardonné. Je lui déclarai que je voyais le fond des choses, et que rien ne m’engagerait à me faire son avocat auprès de Juliette.

— Vous êtes libre, lui dis-je, de lui écrire ou d’obtenir d’elle qu’elle vous entende. Elle n’a aucun lien avec per-