Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aller en paradis, dussé-je ne jamais vous y rencontrer ; et, en attendant, je prie Dieu de vous rendre très-excellent et, par conséquent, très-heureux sur la terre.

Albany était comme abasourdi de cette tranquillité d’âme. Il balbutia quelques mots que Narcisse n’entendit pas et qui ne parurent pas frapper Juliette ; puis il revint au salon, où il resta jusqu’à ce que l’on commençât à se retirer. Je vis qu’il parlait longtemps bas avec le docteur, et je retins celui-ci après que le chanteur eut pris congé de nous, pour lui demander à quel propos il lui avait fait une mine si courroucée en frappant du pied et levant les épaules.

— Tiens ! vous avez vu ça ! répondit le docteur. Le fait est que j’ai été un moment fort en colère. Ces gens de théâtre, ça ne respecte rien. Imaginez-vous que ce faiseur de gargouillades s’est mis à m’interroger sur Juliette de la façon la plus étrange. Ne s’est-il pas mis dans la tête que Sylvie était sa fille ? Oui, le diable m’emporte ! la fille de mademoiselle d’Estorade et de Narcisse ! parce qu’elle a dit notre fille en parlant à Narcisse de la petite ! Cela m’a révolté ! J’ai cru que cette idée courait la ville et qu’il l’avait déjà ramassée dans quelque guinguette. Je lui ai dit, je crois, des choses dures, à quoi il m’a répondu qu’il était très-content de mon indignation, puisqu’elle lui prouvait qu’il avait rêvé. Du reste, il m’a donné sa parole d’honneur qu’il ne fréquentait plus aucune buvette