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quable. Il avait incontestablement une voix magnifique, beaucoup d’exercice et un grand savoir-faire ; mais, pour moi, il manquait d’individualité. Il chantait comme beaucoup d’autres qui chantent bien, mais qui ont appris et non trouvé leur manière. Il y avait plus d’âme et d’originalité dans une phrase simplement jouée par Juliette, que dans toutes les difficultés vaincues dont il prétendait nous éblouir. Mais, chose étrange dans notre vie intime, ce fut la première fois, et en même temps la dernière fois, que nous entendîmes Juliette.

À dix heures, elle nous souhaita le bonsoir, et, s’adressant à Narcisse, qui ne l’avait pas applaudie, mais qui avait pleuré, à la dérobée, dans son coin, pendant le prétendu Sanctus :

— Il faut, mon ami, lui dit-elle tout haut, que vous ayez l’obligeance de porter notre fille jusqu’à ma porte, car la voilà qui dort tout debout.

Et, comme, en parlant ainsi, elle passait dans l’antichambre pour mettre son manteau, elle vit Albany qui la suivait pour lui faire ses adieux en particulier. Il partait le lendemain ; c’était donc un éternel adieu. Juliette fit sentir qu’elle ne s’y trompait pas.

— Maintenant, lui dit-elle avec une sorte de gaieté, ce n’est probablement que dans une autre vie que j’aurai le plaisir de vous revoir, si toutefois nous prenons le même chemin. Je vous avertis que je ferai mon possible pour