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ligence. J’ai déjà dit et je répète que, quand Albany oubliait de parler de lui-même, il était intelligent, spirituel même. En outre, il avait l’âme honnête et des élans de fierté sincère. Ce n’en était pas moins, selon moi, un artiste manqué et un homme médiocre, à cause de son caractère irrésolu, trop facile à entraîner, trop facile à ramener, trop amoureux de sa propre cause, trop confiant dans ses propres forces, trop prêt, en toute occasion, à faire bon marché du dévouement des autres et à le considérer comme un hommage dû à son génie.

Comme je connaissais déjà les lettres qui avaient précédé la première explication de Juliette avec Narcisse et avec moi, dans les rochers de la Gouvre, je m’attachai à bien peser celles qu’Albany lui avait écrites depuis cette même époque. Elles étaient beaucoup moins exaltées. Il semblait qu’il eût fait alors cette prétendue découverte de l’amour de mademoiselle d’Estorade pour lui, et qu’il craignît de l’encourager par trop de reconnaissance ; ou bien peut-être encore s’était-il cru tout à fait réhabilité à ses propres yeux, pour avoir fait cette chose si simple de quitter Julia, grâce à mademoiselle d’Estorade, et d’avoir rendu à ces deux femmes l’argent qu’elles lui avaient prêté. Il est certain que beaucoup d’autres artistes vagabonds ne l’eussent pas fait ; mais, pour lui qui était né dans un milieu honorable et qui avait reçu une bonne éducation, il n’y avait réellement pas grand mérite.