Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/61

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans le couvent ? Ceux qui l’achèteront ne nous connaîtront pas et ne nous devront rien. Que les brigands viennent pour de vrai, où est-ce qu’on se renfermera ? Nous voilà à l’abandon et obligés de compter sur nous-mêmes.

— Et c’est le meilleur pour nous, dit Jacques. Si la chose est vraie, on doit s’en réjouir, à présent qu’on a du courage qu’on n’osait point avoir, et des piques qu’on croyait n’avoir jamais.

— Et puis, reprit le petit frère en parlant à mon oncle, il y a un manquement de connaissance dans ce que vous dites, mon père Jean ! Vous n’aviez pas de droits à faire valoir pour forcer le moutier à vous défendre. Un jour ou l’autre, il vous eût abandonnés par peur ou par faiblesse, et vous eussiez été contraints de vous mettre en révolte et en guerre avec lui. La nouvelle loi vous sauve de ce malheur-là.

Mon oncle eut l’air de se rendre à de si bonnes raisons, mais il était compatissant et plaignait la misère où les moines allaient tomber. Le petit frère lui apprit qu’ils y gagneraient plutôt, parce qu’on avait le projet d’ôter aux évêques et au grand clergé pour indemniser les ordres religieux et rétribuer mieux les curés de campagne.

— J’entends bien, répondait mon oncle : on leur fera de bons traitements qui vaudront mieux que leur mauvaise exploitation et les redevances qu’on leur payait si mal ; mais comptez-vous pour rien la honte de n’être plus ni propriétaires ni seigneurs ? J’ai toujours pensé que celui qui a la terre est au-dessus de celui qui a l’argent.

Dans la journée, mon oncle, qui était très bien vu