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comptait que nous allions nous armer aussi et nous joindre aux autres paroisses.

Personne de chez nous ne s’en souciait. On disait qu’on n’avait point d’armes et que, d’ailleurs, les moines ne croyaient point aux brigands, car le petit frère était là qui, sans trahir l’opinion des moines, tâchait de faire entendre la vérité. Mais le grand Repoussat de la Foudrasse et le borgne de Bajadoux, qui étaient des hommes très hardis, se moquèrent de nous et même nous firent honte d’être si patients.

— On voit bien, disaient-ils, que vous êtes des enfants de moines, et que la peur vous tient en même temps que la malice. Vos cafards de maîtres veulent livrer le pays aux brigands et ils vous empêchent de le défendre ; mais, si vous aviez un peu de cœur, vous seriez déjà armés. Il y a dans le moutier plus qu’il ne faut pour vous et pour les voisins. Il y a aussi des provisions en cas de siège. Or çà, nous allons rejoindre nos camarades et leur dire votre couardise ; et alors, nous viendrons tous en bataille nous emparer du couvent et des armes, puisque vous n’en voulez point et ne sauriez vous en servir.

Ces paroles-là mirent le feu dans la paille. On se prit à craindre les gens d’alentour plus que les brigands, et on décida en grand tumulte qu’on voulait être maître chez soi et faire ses affaires entre paroissiens. On s’appela les uns les autres, on se réunit devant la place du moutier, qui était une grosse pente de gazon toute bossuée, avec une fontaine aux miracles dans le milieu. Le grand Repoussat, qui prétendait à l’honneur d’avoir réveillé nos courages, commença par dire qu’il fallait d’abord _épeurer _les moines, en cassant la Bonne Dame