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tout en le laissant complètement à lui-même. Aussi l’enfant savait-il à peine lire et écrire quand il vint au couvent ; mais il avait beaucoup réfléchi et beaucoup raisonné à sa guise, et il s’était refait une âme à lui seul.

Il avait donné son cœur à Dieu, comme sont portés à le faire ceux qui n’ont que lui pour ami et pour soutien ; mais, plus son précepteur voulait lui expliquer Dieu à sa manière, plus l’élève le comprenait à la sienne. Il ne regimbait point contre l’Église. Il se contentait de la regarder comme une chose de ce monde qu’il ne faut point placer trop haut et qu’on peut blâmer et critiquer quand elle ne marche pas dans le vrai chemin du Ciel. Ce qu’il m’avait dit dès le premier jour, il le pensa toute sa vie. L’Église, selon lui, ne devait servir qu’à faire aimer Dieu, à consoler les peines et à secourir le malheur. Pour tout le reste, il ne s’en souciait guère, ne querellait point, laissait dire et agissait selon sa conscience. Enfin, à force d’être négligé et abandonné à lui-même, en même temps qu’on le plaçait en dehors de tout, il s’était fait un monde à part selon ses rêves et il avait pris un goût d’indépendance sauvage. Il ne résistait à personne et cédait même à tout par complaisance ou par ennui ; mais il ne se laissait convaincre de rien et se dépêchait d’échapper à toute contrainte aussitôt qu’on ne faisait plus attention à lui. À force d’être privé de tout ce que l’on envie, il méprisait tout ce qui lui était refusé.