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— Et pour elle ? Vous croyez que mourir de chagrin est une douce chose ?

— Nanon, je ne veux pas me tuer ! non ! À cause de ma mère, je supporterai l’horreur et le supplice de la vie. Pauvre chère femme, je le sais bien, que je la tuerais avec moi ! Voyez ! il y a comme un lien mystérieux entre les agitations de mon âme et les rêves de son sommeil. Ah ! je serais un misérable si je ne combattais pas l’attrait du suicide, et pourtant il me charme, il me fascine et m’endort ; il m’attire à mon insu ! Comment mon propre rêve m’a-t-il amené au bord de ce ravin ? Quittons vite ce lieu maudit. J’y suis venu hier matin. Je ne dormais pas, je regardais cette eau glauque qui rampe sous nos pieds. Je me disais : « La fin du martyre est là. » Je m’en suis éloigné avec effroi en pensant à ma mère ; je n’y reviendrai plus, je vous le jure, Nanon, je saurai souffrir.

Je l’emmenai dans la partie du jardin que sa mère pouvait voir de sa fenêtre en s’éveillant, et, en m’asseyant avec lui sur un banc, je provoquai l’épanchement de son cœur.

— Est-il possible, lui dis-je, que vous ayez laissé une si violente passion gouverner et troubler un esprit comme le vôtre ?

— Ce n’est pas cela seulement, répondit-il, c’est le reste, c’est tout ! C’est la République qui expire autour de moi et en moi-même. Oui, je la sens là qui meurt dans mon sein refroidi ; ma foi me quitte !

— Pourquoi donc ? lui dis-je. Ne sommes-nous pas encore en république, et l’ère de paix et de tolérance que vous rêviez, que vous annonciez, n’est-elle pas venue ? Nous sommes vainqueurs partout, no