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et de patience ne devaient donc pas aboutir ? À quoi bon tout cela ? À quoi bon travailler et vouloir, à quoi bon aimer, puisqu’une balle ennemie pouvait tout détruire en moins de temps qu’il ne m’en fallait pour me représenter mon désastre ?

J’essayai de me tourner vers l’image de ma réunion à celui que j’aimais, dans une vie meilleure, plus douce et plus sûre ; mais je n’étais pas une nature mystique. Très soumise à Dieu, et aussi religieuse que mon éducation le comportait, je n’avais pas grand enthousiasme pour les choses inconnues. Je ne pouvais pas me représenter la félicité céleste telle qu’on me l’avait enseignée. Elle me faisait même, je l’avoue, plus de peur que d’envie, car je n’ai jamais pu comprendre qu’on vécût éternellement sans rien faire. Je m’aperçus, dans ma douleur, de ce fait que j’aimais la vie et les choses de ce monde, non pour moi seule, mais pour l’objet de mon affection, et que je n’étais pas capable de me contenter de l’espérance du ciel avant d’avoir accompli ma tâche sur la terre.

Je résumais dans ma pensée toutes les chères rigueurs de cette tâche sacrée.

— Quel dommage, me disais-je, d’abandonner tout cela au début, quand tout était espoir et promesse ! Il eût été si content de voir son jardin embelli, sa petite chambre remeublée, son vieux Dumont encore solide et bien guéri de son dangereux penchant, sa pauvre Mariotte toujours gaie, ses animaux en bon état, son chien bien soigné, ses livres bien rangés.

Et je voyais tout cela retomber dans l’abandon et le désordre s’il ne devait plus revenir. Je songeais à tout ce qui périrait avec nous, même à mes poules,