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— Non, madame. Je m’attendais à ce qu’elle a dit. Je ne lui en veux pas, c’est son idée. D’ailleurs, vous la connaissez mieux que moi à présent : vous avez dû changer son caractère, vous qui êtes si bonne.

— Je suis patiente, voilà tout. Je sais que vous l’êtes aussi, mon fils m’a tant parlé de vous ! Savez-vous… oui, il vous l’a dit, et il me raconte tout. Si vous n’eussiez pas été engagée de cœur, il vous eût aimée. Il aurait oublié cette charmante Louise, il eût été plus heureux, et moi plus heureuse par conséquent. Elle nous causera des peines, je m’y attends bien. Enfin, la volonté de Dieu se fasse ! Pourvu qu’elle ne me renvoie pas d’avec mon fils ! Ce serait ma mort. Que voulez-vous ! c’est le seul qui me reste de sept enfants que j’ai eus. Tous beaux et bons comme lui. Ils ont tous péri de maladie violente ou par accident. Quand le malheur est dans une famille ! on a raison de dire : Dieu est grand, et nous ne le comprenons pas.

Elle comptait les points de son tricot, tout en parlant d’une voix basse et monotone, et des larmes coulaient sous ses lunettes d’écaille, le long de ses joues grasses et pâles. On voyait qu’elle avait été belle et soigneuse de sa personne, mais sans l’ombre de coquetterie : on sentait une personne qui n’avait vécu que pour ceux qu’elle aimait et qui n’était point lasse d’aimer malgré tout ce qu’elle avait souffert.

Je baisai doucement ses mains et elle m’embrassa maternellement. Je cherchai à lui donner de l’espérance, mais je vis bien qu’au fond elle pensait comme moi ; elle ne faisait pas de l’espérance personnelle la condition de son dévouement.

Louise rentra avec M. Costejoux. Ils riaient