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— Je sais cela ; aimer est ta religion. Pourquoi n’est-ce pas la mienne au même degré ? Je serais heureuse, parce que je me sentirais acquittée envers ceux qui me comblent de bontés. Voilà ma tristesse et ma honte, vois-tu ! je suis comme une plante brisée qui ne peut reprendre racine dans aucune terre, si bonne qu’elle soit. Mon esprit et mon cœur languissent. Je ne comprends rien à ma destinée. J’en suis à me demander pourquoi on a pitié de moi, pourquoi l’on essaye de me rendre à la vie, quand ma race est maudite et anéantie ; pourquoi enfin, on ne m’a pas laissé m’étioler et m’éteindre comme tant d’autres victimes plus intéressantes que moi ?

Pendant qu’elle disait ces choses tristes avec un sourire singulier et des yeux qui erraient comme si elle ne s’adressait à personne, M. Costejoux, à demi tourné sur sa chaise, regardait le feu qui pétillait dans la cheminée et paraissait plongé dans un problème moitié douloureux moitié agréable. Sa mère regardait Louise avec une certaine anxiété. Elle craignait évidemment de la voir déclarer à M. Costejoux qu’elle ne l’aimerait jamais.

Il ne voulait point croire à cela, lui ; il prit la chose gaiement.

— Ainsi, lui dit-il, vous êtes triste parce que vous êtes aimée et que vous n’aimez pas ? Voilà un grand malheur, en effet, mais difficile à comprendre, car, si vous n’aimiez pas du tout, vous n’auriez aucun regret de faire de la peine aux autres.

Elle le regarda attentivement, et pourtant, comme si elle ne l’eût pas entendu, elle se retourna vers moi.

— Tu es aimante à l’excès, toi, me dit-elle. Tu as le