Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pierre observa que ce n’était pas la peine d’être si riche, quand on mettait de côté deux enfants sur trois. Il blâma, au point de vue des idées nouvelles qui commençaient à pénétrer jusque dans nos chaumières, le parti que prenaient encore certains nobles à l’égard de leurs cadets.

Mon oncle était un paysan de la vieille roche ; il défendit le droit d’aînesse, disant que, sans cela, tous les grands biens seraient gaspillés.

On se querella un peu. Pierre, qui avait la tête vive, parla haut à son grand-père et finit par lui dire :

— C’est bien heureux que les pauvres n’aient rien à se partager, car voilà mon frère aîné que j’aime beaucoup et que je serais forcé de détester si je savais qu’il y a chez nous quelque chose dont je n’aurai rien.

— Vous ne savez pas ce que vous dites, répondit le vieux ; c’est des idées de gueux que vous avez là. Dans la noblesse, on pense plus haut, on ne regarde qu’à la conservation de la grandeur, et les plus jeunes se font l’honneur de se sacrifier pour conserver les biens et les titres dans la famille.

Je demandai ce que cela voulait dire _se_ _sacrifier._

— Tu es trop petite pour savoir ça, répondit le père Jean.

Et il alla se coucher en marmottant tout bas sa prière.

Comme je répétais entre mes dents _sacrifier, _qui était un mot tout nouveau pour moi, Pierre qui aimait à faire l’entendu, me dit :

— Je sais, moi, ce que veut dire le grand-père. Il