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de bruit.

J’étais assez près pour entendre leurs voix, et il me sembla distinguer quelques paroles ; entre autres : _le prieur _— _moutier de Valcreux _— _minuit ! _

Ceci me donna de l’inquiétude, je doublai le pas légèrement, sans me faire entendre, et me trouvai bientôt à portée de ne rien perdre.

Ils s’étaient arrêtés et, autant que je pus compter les voix, car la nuit ne me permettait pas de voir à travers les branches, ils n’étaient que trois. Je compris qu’ils en attendaient d’autres qui arrivèrent un moment après, et puis d’autres encore, et ils se comptèrent mystérieusement, à demi-voix, en se donnant des noms dont aucun ne m’était connu et qui me firent l’effet d’une convention entre eux : _Trompe-la-Mort, Gargousse, Franc-Limier, _etc. Ils parlaient aussi en mots convenus comme une espèce d’argot.

Je compris pourtant, ou plutôt je devinai. C’était une bande de ces malfaiteurs inconnus qui, sous prétexte de royalisme, surprenaient les châteaux ou les fermes durant la nuit et torturaient les gens qui s’y trouvaient pour avoir leur argent. On en parlait dans le pays et on en avait grand’peur. On racontait d’eux des cruautés effroyables et des vols audacieux. On nous avait tant annoncé, d’année en année, des brigands qui n’avaient jamais paru chez nous, que je n’y croyais plus. Force me fut de voir le danger et de l’apprécier.

Ils étaient sept et ne se jugeaient point en nombre suffisant pour attaquer l’abbaye de Beaulieu, qui était devenue une ferme habitée et bien gardée. À Valcreux, disaient-ils, il n’y avait que le vieux prieur, deux vieux ouvriers et deux femmes. Ils étaient bien rens