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patience, et, en somme, je remporte toujours la victoire dans ce duel sans cesse renouvelé, dont l’excitation me fait à la fois du mal et du bien. Mais ce mal et ce bien, c’est autre chose que les émotions de la politique, et j’ai besoin d’oublier les intérêts généraux qui me semblent gravement compromis, sinon perdus !

— Parlez-moi de cela, monsieur Costejoux, et nous reparlerons de Louise. Je veux d’abord comprendre comment et pourquoi tout vous semble perdu, à vous que j’ai vu si plein d’espoir quand vous disiez et quand vous écriviez : « Encore quelques semaines d’énergie et de rigueur, et puis nous entrerons dans le règne de la justice et de la fraternité. » Avez-vous cru réellement que vous pourriez vous réconcilier avec les timides, après les avoir tant effrayés, et avec les royalistes, après les avoir tant fait souffrir ? Moi, je crois que les hommes ne pardonnent jamais la peur qu’on leur a faite.

— Je le sais, reprit-il vivement. Je ne le sais que trop à présent ! Les modérés nous haïssent plus mortellement encore que les royalistes, car ceux-ci ne sont point lâches. Ils montrent, au contraire, une audace que l’on croyait avoir vaincue. Costumés ridiculement et affectant, pour se distinguer de nous, des airs efféminés, ils s’intitulent _muscadins _et _jeunesse dorée ; _à l’heure qu’il est, ils se montrent dans Paris avec de grosses cannes qu’ils feignent de porter mollement et avec lesquelles ils engagent chaque jour des rixes sanglantes avec les patriotes. Ils sont cruels, plus cruels que nous ! ils assassinent dans les rues, sur les chemins ; ils massacrent dans les prisons. Ils poussent à l’anarchie par le crime, le vice, la débauche et