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pain quotidien, et l’Église, qui est riche, doit donner à ceux qui demandent au nom du Seigneur. Elle ne servirait à rien si elle ne servait à répandre la charité.

J’ouvrais de grands yeux et ne comprenais guère, car, sans être bien méchants, les moines de Valcreux se défendaient tant qu’ils pouvaient contre les pillards, et il y avait le père Fructueux qui remplissait les fonctions d’économe, et qui faisait grand bruit et de grosses menaces aux pâtours pris en faute. Il les poursuivait avec une houssine, pas bien loin, il est vrai, il était trop gras pour courir ; mais il faisait peur tout de même et on le disait méchant, encore qu’il n’eût pas battu un chat.

Je demandai au jeune garçon si le père Fructueux serait consentant de voir mon mouton manger son herbe.

— Je n’en sais rien, répondit-il ; mais je sais que l’herbe n’est point à lui.

— Et à qui donc est-elle ?

— Elle est à Dieu, qui la fait pousser pour tous les troupeaux. Tu ne me crois pas ?

— Dame ! je ne sais. Mais ce que vous me dites là m’arrangerait bien ! Si ma pauvre petite Rosette pouvait manger sa faim chez vous pendant la grande sécheresse, je vous réponds que je ne ferais pas la paresseuse pour ça. Sitôt les gazons repoussés dans la montagne, je me remettrais à l’y conduire, je vous dis la vérité.

— Eh bien, laisse-la où elle est, et viens la chercher ce soir.

— Ce soir ? oh ! nenni ! Si les moines la voient, ils