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arbres leur donnent de quoi manger la moitié de l’année ; leurs grands pâturages toujours ombragés et jamais desséchés leur permettent d’avoir du lait ; la solitude fait pulluler le gibier autour d’eux ; ils vivent tous comme nous vivons dans l’île aux Fades, mais sauvages et sans idée. Je suis sûre qu’ils auraient peur d’être mieux, comme ce bonhomme a eu peur en voyant que vous aviez fait pousser du blé_ _dans sa lande.

— Tu me fais songer à la vraie raison, reprit Émilien, c’est la peur des esprits ! Je parie qu’ils sont restés Celtes sans le savoir, puisque leur dévotion d’aujourd’hui ne les empêche pas de trembler devant les anciens dieux de la Gaule. Et, vois-tu, depuis le règne de ces dieux-là, le pays n’a pas changé ; ce sont les mêmes arbres qui ont caché la retraite sacrée des mystérieuses druidesses ; ces tapis d’herbes sauvages se sont renouvelés d’année en année depuis des centaines de siècles, sans que l’homme ait osé y planter la bêche et y creuser des lignes de démarcation. La terre, à force d’être en commun, n’est à personne. L’homme n’ose peut-être pas la posséder ; en tout cas, il n’ose pas en jouir. Il n’y demeure pas, il s’y hasarde en tremblant. Eh bien, Nanette, sais-tu où nous sommes ? nous sommes dans la Gaule celtique. Rien n’y est changé, nous la voyons telle qu’elle était, il n’y manque que les druides. Et, en pensant à cela, il me semble que ce vieux pays est plus imposant et plus beau que tout ce que nous avons pu voir ailleurs. Ne te semble-t-il pas ?

— Oui, lui dis-je, depuis le printemps, il me semble que c’est beau et que j’aurai du regret de m’en aller ; et même en hiver, je suis venue ici, et ces grands