Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/234

Cette page n’a pas encore été corrigée

à ne pas compter en ce monde, à ne rien vouloir, à ne rien désirer, et tu sais que je m’y soumettais. Avec tes petites remontrances, avec tes courtes et justes réflexions, avec ton désir d’apprendre, avec ton habitude d’agir, la netteté de ton vouloir et ton dévouement absolu, sans bornes, sans exemple, tu m’as renouvelé, tu m’as réveillé d’un triste et lâche sommeil. Tiens, dans les plus petites choses, tu m’as rendu aux instincts vrais que l’homme doit avoir ; tu m’as enseigné le soin qu’on doit prendre de son corps et de son âme. Je courais et je mangeais au hasard comme une bête, je ne pensais que par moments, je n’étudiais que par boutades. Le désordre et la malpropreté des moines m’étaient indifférents. J’étais dur à moi-même, mais par paresse et non par vertu. Tu m’as donné des idées d’ordre, de régularité et de suite dans l’esprit. Tu m’as enseigné qu’il faut achever tout ce que l’on commence et ne rien commencer qu’on ne veuille achever. C’est pour cela que j’ai compris que ce qu’on aime, on le doit aimer toute sa vie. Dans cette existence de sauvages où nous voilà jetés, tu nous fais une vie de famille tout à fait douce, tu nous procures un bien-être qui paraissait impossible, et, par la peine que tu y prends, tu nous fais un devoir d’en profiter et même d’en jouir. Quelquefois je raille tes petites recherches, et tout aussitôt je suis attendri de tes inventions délicates pour nous cacher notre dénûment ; je t’admire, toi qui n’es pas une machine, mais un esprit très prompt, très étonnant, très cultivé déjà et capable de tout comprendre. Si j’ai souvent eu l’air de trouver tes soins tout naturels, ne crois pas, Nanon, que je ne connaisse pas l’immensité de ton dévouement. C’est