Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

rranger ; mais ne parlez pas à des anciens riches de vivre comme cela dans des creux de ravins, sans rencontrer à qui parler. Ils y deviennent fous et préfèrent se livrer.

Il disait vrai. Dans ce temps-là, beaucoup de gens aimaient mieux aller à la mort que de traîner la misère, témoin ce pauvre prêtre que nous avions vu mourir parce qu’il était las de se cacher.

Quant à nous, heureux d’être réunis, pleins de force et de jeunesse, fiers d’avoir réussi à nous sauver, habitués à vivre de peu et à voir des bois et des rochers, nous entrions là comme dans le paradis — et, si nous eussions pu oublier le malheur et le danger des autres, c’eût été, en effet, le paradis pour nous.

Je m’étais détachée de mes compagnons, en chemin, pour aller acheter dans un village un peu d’huile, de sel et de pain, quelques ustensiles de ménage et menue vaisselle. Nous ne nous tourmentions guère du repas du soir, mais il devait être exquis. Les châtaigneraies étaient remplies de ceps énormes, et sous les buissons les chanterelles d’un jaune d’ambre sortaient propres et fraîches de la mousse. Dans notre pays, on connaît très bien les champignons, et c’est une grande ressource que les gens du Berry ont ignorée et laissé perdre pendant bien longtemps. Encore aujourd’hui ne les connaissent-ils pas bien et des accidents arrivent. Nous en trouvions donc à souhait, et cette récolte n’attirait personne. Dans ce temps-là, outre la levée en masse qui dépeuplait tout, ce coin de pays n’était ni cultivé ni habité. Il avait pourtant des propriétaires, nouveaux acquéreurs comme chez nous, qui comptaient bien en tirer quelque chose ; mais ils n’y