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chagrin sans le savoir. Sans doute j’étais affolée par cette course, par l’inquiétude et par le tonnerre. Je disais : « Mon Dieu, mon Dieu ! … Dieu est-il aussi contre nous ? »

Émilien m’avait suivie, n’osant m’appeler, courant aussi de toute sa force. Il n’avait pu me joindre qu’au moment où j’avais été comme foudroyée en travers du chemin. Il m’avait emportée, voyant bien que je n’étais pas morte, car je continuais à dire : « Mon Dieu, mon Dieu, vous ne voulez donc pas ? » mais il avait craint que je ne fusse folle ou aveugle, car je ne pouvais avancer et je ne savais pas où j’étais.

— Ah ! ma pauvre chère Nanon, dit-il, quelle peur j’ai eue ! j’ai regretté un moment de ne pas être resté en prison, je me suis maudit d’avoir accepté une délivrance qui te coûterait si cher ! Dis-moi donc à présent où est Dumont et comment il se fait que je t’aie trouvée seule ? Est-il là quelque part à nous attendre ?

Force me fut de lui raconter ce qui s’était passé, ce qui lui causa une grande inquiétude.

— Et que va devenir ce pauvre ami ? dit-il : quand il s’éveillera, il voudra courir après nous, il ira aux Taupins, il s’informera, il éveillera des soupçons, il se compromettra peut-être, il se fera arrêter…

— Ne craignez pas cela, lui dis-je, Dumont est très prudent, et il l’est d’autant plus le lendemain d’un jour d’ivresse. Il craint de laisser voir sa faute et ne parle pas volontiers, même à ses amis. Il se dira que nous sommes en route pour Crevant, où il nous a assuré un refuge et il nous y rejoindra.

— Crevant ! s’écria-t-il : c’est là que nous allons nous cacher ?