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d’ouvrir son cœur ? Voyons ! Est-ce que je dis des choses déraisonnables ? J’ai été un ivrogne, je mérite une punition. J’ai été averti, j’ai fait une chute de trente pieds, et, quand je me suis vu au fond… tout au fond du trou, comme ça, vois-tu…

Et il voulut s’arrêter pour me montrer, pour la centième fois, dans quelle position il était tombé, une nuit qu’il avait failli se tuer en rentrant ivre au moutier.

— Allons donc ! lui dis-je ; allez-vous nous retarder pour me dire ce que je sais ?

— Retarder ?… Ah ! oui, retarder ! voilà que tu m’accuses, toi aussi, de ne pas savoir ce que je fais. Tout le monde me méprise ! je l’ai mérité, et je me méprise moi-même ! Pauvre enfant ! est-ce assez malheureux pour toi de voyager avec un gueux, un misérable… Car je suis un gueux, tu auras beau dire… Si j’avais un peu de cœur, je me serais déjà tué… un chien, quoi ! Tiens, quitte-moi, il faut m’abandonner, là, dans un fossé… Je sais ce que je dis, je ne suis pas ivre, c’est le chagrin ! — un fossé ! c’est bon pour moi. Laisse-moi tranquille, je veux mourir là !…

Il n’y avait plus à en douter. Ce pauvre homme, qui avait si longtemps résisté à la tentation, venait d’échouer au port. Il avait succombé en faisant ses adieux au père Mouton : il était ivre !

En toute autre circonstance, j’en aurais bien pris mon parti. Mais, au moment d’opérer la délivrance de notre ami, quand il fallait devancer la voiture, être prêt à déjouer tous les soupçons, à se glisser sans attirer l’attention de personne, à prendre la fuite au bon moment, prudemment, en tenant compte de tout