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vasion me paraît possible, presque facile. Ce qui est plus malaisé, c’est de trouver un refuge.

— J’en ai un, répondis-je. Je sais qu’on est traqué comme dès bêtes fauves et qu’on ne peut se fier à personne, tant la peur ou la colère ont changé le cœur des hommes. Nous irons dans un désert, et, si vous vous sentez la force de descendre par la corde…

— Non, non, pas moi ! dit-il, je n’ai ni la force ni la volonté ! À l’heure qu’il est, je dois être condamné. J’en suis content, ne me parlez plus. Je vais prier pour vous.

Et il se mit en prière en nous tournant le dos.

Émilien essaya encore de me faire renoncer à mon projet ; mais, quand il me vit si acharnée à me perdre pour mourir avec lui, il dut céder et me promettre de faire ce que je voudrais. Seulement, comme il n’était pas question de le soumettre à un nouveau jugement puisqu’il avait été condamné à la détention par le comité de Limoges, il me fit promettre à mon tour que je n’agirais pas, si ce jugement n’était pas révisé.

Le lendemain, c’était, je crois, le 10 août, on fit une grande fête dans la ville, et, comme je voulais lui rapporter des nouvelles, j’allai voir de quoi il s’agissait. Il me fut impossible d’y rien comprendre. Une calèche singulièrement décorée passa, suivie de cinq ou six femmes qui portaient des bannières ; c’étaient les mères de ceux qui avaient des enfants aux armées comme volontaires. Elles escortaient la déesse de la Liberté, représentée par une grande femme très belle en costume antique. C’était la fille d’un cordonnier qui s’appelait Marquis, et elle, on l’appelait la _grand’marquise. _La procession la conduisit sur son char à l’égl