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venaient jusqu’à moi ; elles semblaient commander et menacer. J’entendis aussi comme des portes enfoncées et des meubles brisés. Une vieille gardienne s’emporta et cria des reproches d’une voix cassée. On cria plus haut qu’elle, et on l’emmena pour la conduire en prison. On emportait des cartons, des coffres et des liasses de papiers. Les gens des boutiques ricanaient d’un air bête et craintif, les passants n’interrogeaient pas et ne s’arrêtaient pas. La peur avait frappé tout le monde d’indifférence et de stupidité.

Je comprenais tout ce que je voyais et j’étais indignée. Je me demandais pourquoi M. Costejoux, qui devait voir aussi cela, ne s’opposait pas à ces vexations, à ces violences, à ces insultes envers une femme en cheveux blancs qui disputait le bien de ses maîtres à des bandits. Et les maîtres ! pourquoi n’étaient-ils pas là ? Pourquoi toute une ville se laissait-elle envahir et dépouiller par une poignée de malfaiteurs ? On prit ailleurs du linge et de l’argenterie. On tua un pauvre chien qui voulait défendre son logis. Les vieillards et les animaux domestiques avaient-ils donc seuls du courage ?

J’étais en colère quand je revis M. Costejoux, qui, sur le midi, monta dans la chambre où j’étais. Je ne pus me tenir de le lui dire.

— Oui, répondit-il, tout cela est injuste et repoussant. C’est le peuple avili qui se venge d’une manière vile.

— Non, non ! m’écriai-je, ce n’est pas le peuple ! Le peuple est consterné, il est poltron, voilà tout son crime.

— Eh bien ! tu mets la main sur la plaie. Il est pol