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marquis de Franqueville une correspondance à l’effet d’avoir des preuves contre lui et sa famille, et il a prétendu qu’Émilien lui avait écrit son intention d’émigrer, dans une lettre qu’il n’a pu cependant produire, et qui, malgré son affirmation, ne s’est pas trouvée au dossier. J’espérais l’emporter sur lui par mon témoignage, mais l’ex- religieux Pamphile était là ; il déteste Émilien, il a dit le connaître pour un royaliste et un dévot. Il voulait qu’on le condamnât à mort séance tenante et il s’en est fallu de peu qu’il ne fût écouté. J’ai amené une diversion en rejetant tout l’odieux de l’affaire sur Prémel, qui a été condamné à la déportation. Je n’ai pu sauver que la tête d’Émilien… jusqu’à nouvel ordre.

J’écoutais chaque parole de M. Costejoux sans m’abandonner à aucune émotion, et j’observais le changement de sa physionomie et de son accent. Il avait beaucoup souffert, cela était évident, depuis qu’il avait changé son point de vue politique. Il avait sincèrement adopté une conviction et un rôle qui pouvaient répondre à ses principes de patriotisme, mais qui étaient antipathiques à son caractère confiant et généreux. Je l’étudiais pour savoir jusqu’à quel point je pouvais compter sur lui. Dans ce moment, il me sembla qu’il était tout disposé à me seconder.

— Ne parlez pas de _nouvel ordre, _lui dis-je, il faut que vous réussissiez à délivrer Émilien tout de suite.

— Voilà où tu déraisonnes, répondit-il vivement. Cela m’est impossible, puisque son jugement a été rendu suivant les formes ordonnées par la République.

— Mais c’est un mauvais jugement, rendu trop