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parlait de mener les aristocrates à l’abattoir, l’épicier Boudenfle, qui se croyait un petit Marat et demandait six cents têtes dans le district ; l’huissier Carabit, qui faisait métier de dénoncer les suspects et qui s’appropriait leur argent et leurs nippes[1].

Enfin, au bout d’une heure, je fus appelée dans le cabinet de M. Costejoux et je l’y trouvai seul. Il s’enferma dès que je fus entrée, puis il me dit :

— Que viens-tu faire ici ? tu veux donc perdre le prieur et Louise ?

— Je veux sauver Émilien, répondis-je.

— Tu es folle !

— Non, je le sauverai !

Je disais cela avec la mort dans l’âme et avec une sueur froide dans tout le corps ; mais je voulais forcer M. Costejoux à me dire tout de suite s’il était encore vivant.

— Tu ne sais donc pas, reprit-il, qu’il est condamné ?

— À la prison jusqu’à la paix ? repris-je, résolue à tout savoir.

— Oui, jusqu’à la paix, ou jusqu’à ce qu’on se décide à exterminer tous les suspects.

Je respirai, j’avais du temps devant moi.

— Qui donc l’a désigné comme suspect ? repris-je ; n’étiez-vous point à son jugement, vous qui le connaissez ?

— Cette infâme canaille de Prémel a cru se sauver en l’accusant. Il s’est vanté d’avoir entretenu avec le

  1. Inutile de dire qu’on chercherait vainement ces noms dans les souvenirs des habitants. Nanon a dû les changer en écrivant ses Mémoires.