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la France ? Ceux qui les y invitent ne sont-ils pas les plus lâches Français qui existent ? Ceux qui punissent la trahison ne sont-ils pas la dernière espérance de la patrie, quand même ils abusent par goût ou par nécessité du droit de punir ? Ah ! tiens, je les déteste ! Mais les autres, je les méprise, et je vois bien qu’il faut tout subir plutôt que d’attendre la dernière des hontes. Ces jacobins que le prieur croit impuissants, pour avoir fait le bien par le mal, ou, si tu veux, le mal pour le bien, je les regarde comme des héros qui, à force de lutter, sont devenus fous. Ils sont cruels sans en avoir conscience et ils emploient un ramassis de bêtes féroces qui renchérissent sur leur dureté pour le plaisir de faire le mal, ou pour la sottise d’être quelque chose, pour l’ivresse de commander. Souffrons-les, puisque nous en sommes venus à ce point qu’en les renversant nous en aurions de pires et que nous ne serions même plus Français. Soyons Français à tout prix, tout est là ! Tu vois bien qu’il faut que je me rende utile. Il faut que je dise à Costejoux : « Vous m’avez logé et nourri, j’ai travaillé pour vous ; je continuerais si cela était possible ; mais il ne s’agit plus de cultiver la terre, il s’agit de la conserver. Donnez asile à ma sœur, je vous la confie, et laissez-moi me battre. Je suis doux, je suis ennemi de la guerre, j’ai horreur du sang ; mais cela me devient absolument égal d’être _moi _ou un autre. Je serai féroce s’il le faut, et si, après, j’ai horreur de moi, je me tuerai, mais, tant que j’aurai mon pays à défendre, je me battrai, je souffrirai, et je ne penserai à rien. »

Tout ce qu’Émilien m’avait dit m’avait consternée et je pleurais comme une enfant ; mais, à mesure