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se passent autrement. Mon père me traite comme un soldat qu’il achèterait pour sa cause : un cheval, un laquais, une bonne valise et cent louis en poche, me voilà engagé au service de la Prusse ou de l’Autriche. Sinon, mourez de faim, c’est comme il vous plaira, je ne vous connais plus ! Eh bien, il me plaît de choisir le travail des bras et la fidélité à mon pays, car, moi, je ne vous ai jamais connu, et je ne suis le fils de personne, quand il s’agit de trahir la France. Voilà le lien rompu ! Nanette, tu entends ! — et, en parlant ainsi, il déchirait la lettre de l’intendant en mille pièces, — et tu vois ? je ne suis plus un noble, je suis un paysan, un Français !

Il se jeta sur une chaise pleurant de grosses larmes. J’étais toute bouleversée de le voir comme cela. Il n’avait jamais pleuré devant personne, peut-être n’avait-il jamais pleuré du tout. Je me pris à pleurer aussi et à l’embrasser, ce qui ne m’était jamais venu à l’idée. Il me rendit mes caresses et me serra contre son cœur, pleurant toujours, et nous ne songions pas à nous étonner de nous tant aimer l’un l’autre. Cela nous semblait si naturel d’avoir du chagrin ensemble, après avoir été ensemble si heureux et si insouciants !

Il fallait pourtant songer à Louisette et se demander si on la conduirait à Nantes. Nantes, ah ! si nous eussions pu lire dans l’avenir prochain ce qui devait s’y passer, comme nous nous serions réjouis de la tenir là près de nous ! Peut-être qu’en apprenant l’insurrection de la Vendée, nous eûmes quelque pressentiment et que le ciel nous avertit. Mais le parti d’Émilien était pris en même temps que celui qui le concernait.