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une chèvre, vous auriez du lait. Tu m’as vu faire des fromages et tu en ferais aussi. Allons, il faut continuer à avoir bon courage. Tu es une fille propre, raisonnable et soigneuse des pauvres nippes que tu as sur le corps. Tu aideras le père Jean à sortir de peine. Tu lui dois bien ça, à lui qui a augmenté sa misère en te prenant à sa charge.

Je fus très touchée des compliments et encouragements de la Mariotte. Le sentiment de l’amour-propre s’éveilla en moi et il me sembla que j’étais plus grande que la veille de toute la tête.

C’était un samedi ; ce jour-là à souper, et le lendemain à déjeuner, nous mangions du pain. Le reste de la semaine, comme tous les pauvres gens du pays marchois, nous ne vivions que de châtaignes et de bouillie de sarrasin. Je vous parle d’il y a longtemps ; nous étions, je crois, en 1787. Dans ce temps-là, beaucoup de familles ne vivaient pas mieux que nous. À présent, les pauvres gens sont un peu mieux nourris. On a des chemins pour pouvoir échanger ses denrées, et les châtaignes procurent quelque peu de froment.

Le samedi soir, mon grand-oncle apportait du marché un pain de seigle et un petit morceau de beurre. Je résolus de lui faire sa soupe toute seule et je me fis bien expliquer comment la Mariotte s’y prenait. J’allai au jardin arracher quelques légumes et je les épluchai bien proprement avec mon méchant petit couteau. La Mariotte, me voyant devenir adroite, me prêta pour la première fois le sien, qu’elle n’avait jamais voulu me confier, craignant que je ne me fisse du mal avec.

Mon grand cousin Jacques arriva du marché avant