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dont, à l’habitude, il ne songeait pas à me parler, sinon en deux ou trois mots et quand l’occasion s’en trouvait ? Je ne dirai pas que j’étais trop innocente pour n’avoir pas ouï parler de l’amour. À la campagne, il n’y a pas tant de secrets sur ce chapitre-là ; mais, dans les pays froids où l’on vit sobrement et où l’on travaille beaucoup, on est enfant très longtemps et j’étais aussi jeune que mon âge. Peut-être aussi l’idée que j’avais toujours eue de me dévouer au service et contentement des autres m’avait-elle éloignée de celle de rêvasser à mon propre contentement. Je restai là comme une grande niaise à me demander pourquoi il m’avait dit : « Tu ne peux pas encore comprendre tout ce que je pense » et j’avais comme une envie de rire et comme une envie de pleurer sans savoir pourquoi.

Je ne sais pas pourquoi non plus je pris quelques feuilles du saule et les mis dans la bavette de mon tablier.

À partir de ce jour-là, je sentis du bonheur dans tout et comme une joie d’être au monde. Je n’avais plus de chagrin quand Louisette était mauvaise. Je prenais la chose avec une patience gaie. Quand M. le prieur grondait, j’avais plus d’esprit pour trouver des paroles qui l’apaisaient. Quand il souffrait beaucoup, j’avais toujours bon espoir de le soulager et j’en trouvais mieux le moyen. Quand je voyais Émilien se fatiguer trop au jardinage, j’allais derrière lui et je trouvais la force d’un homme pour mener la brouette et le râteau. À la fin de la saison, nous eûmes des fruits superbes dont on fit l’envoi à M. Costejoux, qui en fut content. Il vint nous en remercier et il paraissait heureux,