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qu’avec ton consentement ; entends-tu bien ? Tu sais que je suis, comme on dit, de parole ; tout ce que je t’ai promis de faire, je l’ai fait. Souviens-toi de ce que je te dis à présent, tiens, là, au bord de cette rivière qui chante comme si elle était contente de nous voir passer, au pied de ce vieux saule qui devient tout argenté quand le vent lui renverse ses feuilles. Tu retiendras bien l’endroit ? Vois, il y a comme une petite île que les iris ont faite avec leurs racines, et, contre cette île, nous avons souvent tendu les nasses, ton cousin Pierre et moi. Je me suis déjà arrêté avec toi dans cet endroit-là, un jour que tu me demandais de t’apprendre tout ce que je pourrais apprendre moi-même. Je te l’ai juré, et à présent je te jure que je ne serai jamais à personne plus qu’à toi. Est-ce que cela te fait de la peine ?

— Mais non, lui répondis-je. Je voudrais que cela vous fût possible. Seulement, je m’en étonne, parce que je n’ai jamais pensé que vous tiendriez autant à mon amitié que je tiens à la vôtre. Si c’est comme ça, soyez tranquille, je ne me marierai jamais, moi je serai à votre commandement toute ma vie, et je vous le promets devant cette rivière et ce vieux saule, afin que vous n’en perdiez pas non plus la souvenance.

La mule avait toujours marché pendant que nous causions. Émilien, la voyant déjà loin et prête à laisser tomber son chargement, parce qu’elle avait fantaisie de prendre le plus court à travers les buissons, fut obligé de courir après elle. Moi, je restai un bon moment sans songer à le suivre. J’avais comme un éblouissement dans les yeux et comme un engourdissement dans les pieds. Pourquoi m’avait-il dit si bien son amitié