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mienne. Il y avait encore du très beau linge au moutier et elle y fut sensible ; mais l’histoire de s’habiller le lendemain amena encore du dépit et des larmes, et je dus lui attacher des fleurs sur sa cornette, en lui disant que je la déguisais en bergère.

Peu à peu cependant, en voyant que, si j’étais douce, c’était par bonté et non par obligation, elle comprit sa position et se fit au renversement de toutes les coutumes de l’ancien temps. Jamais elle n’avait été si heureuse, elle l’a senti plus tard, car elle était aimée sans chercher à mériter nos complaisances et nos gâteries ; mais son cœur n’avait pas de tendresse, et, sans la peur d’être plus mal, elle eût demandé à nous quitter. Pour la rendre moins exigeante, nous étions forcés de la prendre par son amour-propre qui était déjà de la coquetterie de femme. Elle eut bien de la peine à ne plus taquiner ni à maltraiter personne, mais jamais on ne put la décider à faire le plus petit travail pour aider les autres et s’aider elle-même. Elle était la seule de la maison qui se fît servir ; on servait volontairement M. le prieur, qui n’était point exigeant de ce côté-là ; mais, comme Louisette remarqua dès le commencement qu’il était au-dessus des autres, elle se déclara pareille à lui et s’assit de l’autre côté de la table où nous mangions tous ensemble par économie. Elle s’y plaça en face du prieur comme si elle eût été la maîtresse de la maison. Cela fit rire d’abord, et puis on le toléra, et elle réclama cette place comme un droit. Un jour que M. Costejoux vint dîner, elle ne voulut point la lui céder, ce qui amusa beaucoup l’avocat et lui fit donner une grande attention à ce diable de petit caractère. Il la trouva jolie, la fit babiller, la