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qui ne trouve son analogue dans le roman, dans la fable ou dans l’histoire. Ce qui rend la ressemblance souvent ridicule, c’est que les situations diffèrent. Ainsi, Benjamine habitant un château comme celui-ci, et servie par vingt laquais, jouissant des préférences d’un papa débonnaire, est absurde quand elle fait elle-même le chocolat avec autant de hâte et de soin que si elle attendait des coups et des injures au bout de son œuvre ; moi, je suis ridicule en ayant l’air de chercher, à travers nos bois et nos collines, un père proscrit et persécuté, quand j’en ai un qui siège tranquillement à la Chambre, et règne par ses vertus et ses richesses dans la province… Et toi, ma pauvre Nathalie, qui, au lieu de la plus brillante cour de l’Europe, n’as à tyranniser qu’une famille ennuyeuse et paisible.

— Ennuyeuse, c’est vrai, interrompit Nathalie ; paisible, cela te plaît à dire. Éveline, sais-tu pourquoi nous n’avons envie ni de veiller, ni de dormir en ce moment ? C’est que nous avons de l’ennui sans être paisibles.

— Pourquoi ne sommes-nous pas paisibles ? C’est peut-être la faute de notre caractère.

— Nullement. Le tien est celui d’un enfant qui s’amuse de tout ; le mien, celui d’une femme qui méprise beaucoup de choses. Par nous-mêmes, nous avons de quoi nous réjouir ou nous distraire : toi dans les choses riantes, moi dans les choses sérieuses. Mais, en dehors de nous, il y a une cause de trouble qui nous atteint déjà, et qui nous forcera d’éclater tôt ou tard. Cette chose fatale, ridicule, mais insurmontable dans notre destinée, c’est l’amour de notre père pour une autre femme que notre mère.

— Ah ! je t’en supplie, Nathalie, ne mets pas notre pauvre mère en cause dans cet éternel procès que tu fais