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— Eh bien, qu’est-ce que cela prouve ? Une femme de vingt-quatre ans a le double de l’âge d’un garçon du même âge.

— Alors tu ne penses pas qu’il puisse être amoureux…

Un sourire sinistre passa sur les lèvres de Nathalie.

— De qui amoureux ? demanda Éveline étonnée.

— De toi, répondit Nathalie négligemment.

— J’espère bien qu’il n’y songe pas, le cher enfant ! cela me ferait de la peine, car je l’aime beaucoup. C’est un bon garçon, malgré ses manies ; il a été élevé avec nous, et je le regarde comme mon frère. Est-ce que tu le verrais d’un autre œil ? Tu en es peut-être jalouse, toi, qui ne fais et ne penses rien comme les autres ?

Nathalie ne répondit que par un sourire et un mouvement d’épaules plus expressifs que toutes les paroles par lesquelles on peut exprimer le dédain qu’inspire un individu appartenant au sexe masculin. Puis elle bâilla, posa un instant son front élevé dans sa main longue et blanche, changea un hémistiche qui lui paraissait incolore, et se mit à l’écrire.

La pendule sonna le quart après minuit.

— Cette nuit est un siècle, dit Éveline en laissant tomber son livre, que la jeune Tisiphone, grande chienne griffonne courante de prédilection, se mit à déchirer à belles dents.

— Cette bête mange ton livre, dit Nathalie sans se déranger.

— Elle fait bien, répondit Éveline, il m’ennuyait. Décidément, je déteste Walter Scott.

— Et pourtant tu singes assez Diana Vernon.

— Comme tu singes la reine Elisabeth, et comme Caroline singe Cendrillon. Tout le monde singe quelqu’un, à dessein ou sans le savoir. Il n’y a pas de type humain