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— Qu’en sais-tu ?

— Tu ne l’as jamais été !

— C’est possible ; mais je te prie de n’en pas devenir amoureux. Elle pose devant moi ; ne dérange pas mon modèle.

— À la bonne heure ! parle ainsi, et je te comprendrai. Tu joues avec les femmes un jeu où un autre se brûlerait, mais où tu ne brûleras que les parfums de la poésie dans une cassolette de vélin dorée sur tranche.

— N’importe, dit Thierray, nous voici arrivés. J’ai sommeil et je passerai une meilleure nuit que je ne l’espérais. J’avais peur de voir apparaître dans mes rêves une lady of the lake comme celle de la chambre tapissée de Walter Scott, tandis que, si l’image de la dame de Puy-Verdon vient à voltiger à mon chevet, je ne m’en plaindrai pas trop.

— En d’autres termes, répondit Flavien en le quittant, tu as une montagne de moins sur ta poitrine d’homme et sur ta conscience de rêveur. Dors bien, mon ami, après une journée si cruelle et de si terribles émotions !

Laissons dormir ces deux personnages, qu’il ne nous a pas été possible de quitter plus tôt, et voyons ce qui se passait à pareille heure au château de Puy-Verdon.

M. Dutertre, ayant dîné vite et mal en route, avait faim, et la petite Caroline, la fillette de seize ans, que ses sœurs appelaient la Benjamine à papa, courait elle-même à la cuisine, et, bourgeoise de cœur et d’instinct, mais bourgeoise dans la bonne et sérieuse acception du vieux mot, elle préparait et servait presque de ses propres petites mains le souper de son père chéri. Ardente de cœur et froide d’imagination, Caroline ne connaissait encore qu’une passion, l’amour filial. Réputée la moins jolie et la moins intelligente du jeune trio d’héritières à