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— Oh ! voilà le commencement des injustices dont je suis la victime, s’écria la jeune fille en riant. Mon père peut-il me faire une pareille question ?

— Allons, allons, Éveline, dit le jeune cousin, il y avait de l’un et de l’autre dans votre fait, encore que j’eusse refusé de tenir un pari si dangereux pour vous.

— Chut ! voici l’entrée du sanctuaire, dit Nathalie d’un ton étrange. C’est ici que réside la perfection, et que mon père ne trouvera rien à blâmer.

En parlant ainsi, elle tira une vaste portière, et le petit salon de compagnie où se tenait madame Dutertre, quand elle était seule chez elle, s’offrit aux regards émus du père de famille, et aux regards rapidement scrutateurs des deux étrangers qui l’accompagnaient.

Mais ce coup d’œil fut une complète déception pour Thierray. Le salon, assombri par l’approche de la nuit et déjà obscur par lui-même, grâce à ses tentures de cuir doré et à son ameublement de velours violet, n’était éclairé que par le reflet d’un vague crépuscule et par un feu de javelles déjà à demi épuisé dans l’âtre. Deux femmes qui semblaient causer intimement, assises tout près l’une de l’autre devant cette cheminée, se levèrent et accoururent avec des exclamations plus pénétrantes que celles qui avaient précédemment accueilli le chef de la famille. C’était Olympe, la femme de M. Dutertre, et Caroline, la plus jeune de ses filles. Malgré le peu de clarté qui régnait dans l’appartement, Thierray saisit cependant les détails de cette scène d’intérieur avec une attention qui suppléa à la faiblesse de sa vue. Madame Dutertre, au moment d’embrasser son mari, qui venait à elle, recula d’un pas, et poussa la jeune Caroline dans ses bras, comme résolue à lui céder la bénédiction de cette première caresse.