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gré lui peut-être, une héritière fort gâtée ; enfin, si ton ami Thierray, l’irrésolu, le difficile et le susceptible, est arrivé à préférer le présent au passé de sa vie. Je te répondrai en toute conscience : Oui. Tu vois donc que tu peux affronter le péril !

— Cet enfant gâté, ce charmant enfant, ta femme, est donc devenu… ?

— Oh ! pas tout à fait l’idéal que je demandais parfois à la destinée dans mes songes ambitieux. Il m’eût fallu une Caroline pour me faire la vie de chanoine que j’avais rêvée dans mon arrière-saison intellectuelle. Mais Caroline était alors une enfant, et, d’ailleurs, la fatalité était là qui m’a forcé de m’enterrer dans une autre fantaisie. Cette fantaisie est devenue une passion, bon gré, mal gré, et j’ai eu bien de la peine à en faire un véritable amour. Mais le ciel m’a protégé et Éveline m’a aidé. Oui, Éveline, c’est horrible à dire ! a bien fait de se casser un pied, et Dieu a bien fait, pour la conversion des enfants gâtés de Dutertre, de rappeler à lui cette sainte femme dont le monde n’était pas digne. La douleur, en venant visiter cette maison opulente et ces filles superbes, a converti en patience l’esprit de domination, en remords l’esprit de lutte, en douceur l’esprit de révolte. Le malheur est un rude maître. Dutertre, le noble, le désolé, le respectable Dutertre, l’homme de cœur et de bien par excellence, le sauveur des pauvres, l’ami des infortunés, l’orgueil de la famille, cloué sur la croix comme le Christ de la paternité, a offert un spectacle si déchirant à tous les yeux, que les plus endurcis se sont fondus, et Nathalie elle-même…

— Parle-moi d’Éveline, dit Flavien avec un peu de trouble, d’Éveline d’abord.

— Oh ! je ne demande pas mieux ! répondit Thierray avec empressement. Foncièrement bonne et vraie, elle