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son ombre, afin de le préserver en se préservant lui-même. Un ange de patience et de douceur se plaçait souvent entre eux dans leur amère méditation. C’était la Benjamine. Inconsolable de la perte de celle qu’elle avait aimée comme sa propre mère, elle était la plus calme, la plus forte de la famille. Elle était si ingénieuse à consoler et à distraire les autres, qu’un jour Amédée, dans une crise de chagrin violent, lui dit à voix basse, mais avec humeur :

— Laisse-nous, Benjamine ; ta gaieté nous fait mal ! Caroline ne répondit qu’en répétant ces deux mots :

— Ma gaieté !

Puis elle pâlit, trébucha, et sortit en se rattrapant aux meubles comme une personne ivre.

Amédée courut après elle, la soutint dans ses bras, et lui demanda tendrement pardon de son injustice. Caroline fondit en larmes :

— Vous ne comprenez donc pas, dit-elle, que j’ai plus de chagrin que vous tous, parce que j’ai perdu plus qu’aucun de vous ? Mon père a des devoirs pour le fortifier contre la douleur ; moi, je n’en avais qu’un, c’était de donner du bonheur à cette pauvre femme qui n’en avait pas quand mon père était absent. Éveline est mariée et sera bientôt mère d’un petit enfant qu’elle aimera encore plus qu’elle n’aime son mari ; Nathalie est instruite, spirituelle, ambitieuse ; toi, tu peux soulager mon père d’une partie de ses fatigues et de ses travaux : qu’est-ce que je peux, moi, et qu’est-ce que je suis ? Je ne suis ni artiste comme Éveline, ni savante comme Nathalie. Je n’aime pas le monde ; je ne vois rien dans l’avenir qui me tente, rien dans le présent qui m’absorbe, depuis que ma pauvre mère n’est plus là pour accepter mes soins, mon amour, et me dire que je lui fais du bien. Oui, j’ai donné un peu de bonheur dans ma vie, j’en suis sûre ! Elle le disait et