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noir dont le trot allongé dévorait l’espace. À mi-chemin de Mont-Revêche, dans une clairière marquée d’une croix, il se trouva face à face avec un cavalier qui venait comme à sa rencontre, aussi rapide que lui, et monté sur un beau cheval gris pommelé. C’était Flavien de Saulges.

Les deux chevaux, qui se connaissaient probablement de longue date, s’étaient salués de loin par un hennissement sonore, et, en même temps que leurs cavaliers s’abordèrent avec une résolution froide et défiante, ces animaux intelligents allongèrent leurs cous et se touchèrent de leurs naseaux fumants, comme pour se donner un baiser fraternel.

— J’allais vous trouver, monsieur, dit Dutertre parlant le premier ; j’ai affaire à vous.

— Je venais vous trouver aussi, répondit Flavien, et je suis charmé de vous épargner la moitié du chemin.

— Eh bien, monsieur, reprit Dutertre, l’explication ne sera pas longue, car vous savez ce qui m’amène ?

— Parfaitement, monsieur, répliqua Flavien, et me voici complètement à vos ordres.

Flavien était venu dans des intentions beaucoup plus conciliantes que ne le promettait ce début. Mais, à l’attitude irritée et à l’accent de provocation glaciale de Dutertre, il sentit tout le feu de son sang et tout l’orgueil de sa race se réveiller, et couper court à toute réflexion.

La place n’était pas mal choisie par le hasard pour un duel. Dutertre était armé pour deux, et la lune fit briller la crosse des pistolets qui garnissaient les fontes de sa selle. Il passa une jambe pour descendre de cheval. Flavien, copiant tous ces mouvements avec une méthodique exactitude, passa la jambe aussi. Il s’en voulait à lui-même de se trouver engagé dans une affaire contre laquelle sa conscience s’était révoltée d’avance.