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paternel entre vous deux, et il me prend des envies de bénir dont je ne me serais jamais cru susceptible.

Cette manière brave et enjouée de prendre les choses était fort sympathique à Éveline ; mais Thierray sentait de plus en plus l’effroi de sa destinée. Il baisait si respectueusement et avec si peu de passion la main de sa fiancée, qu’elle n’était avertie par aucun trouble intérieur d’avoir à la lui retirer. Ainsi, au fond de cette passion que le public eût jugée effrénée s’il n’en eût vu que les actes extérieurs, il y avait encore quelque chose de glacé au fond des âmes.

— Allons, dit Éveline en regardant la pendule, qui marquait déjà trois heures, le temps presse. Dites-moi trois bonnes paroles, monsieur Thierray ; car vous ne me dites rien du tout, et il faut que ceci soit ma dernière campagne.

— Tout ce qu’il vous dirait ne vaudrait pas ce qu’il pense, dit Flavien, trompé par le trouble de son ami, et, si vous étiez émue comme lui, vous ne pourriez rien dire. Il suffit que j’aie sa parole, et il va me la donner.

— Oui, mon cher Flavien, je te la donne ! répondit Thierray, honteux de sa propre froideur ; mais songez, chère Éveline, que je fais pour vous plus que vous ne pourriez jamais faire pour moi. Pour reconnaître votre affection, je m’expose, presque à coup sûr, aux refus méprisants de votre famille, à l’affront qui m’est le plus sensible et que j’avais mille fois juré de ne pas risquer en recherchant une personne riche.

— Vous êtes fou, vous rêvez, Thierray, dit Éveline. Mon père désire si vivement notre union, qu’il s’inquiète et s’afflige de votre absence, et qu’il est venu lui-même ici sans vous trouver.

— Mais il ne m’a pas écrit ; il ne m’a rien fait dire ?