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— Quand tu voudras ! dit Thierray en mettant la main sur le fatal tiroir.

— Bien, bien, tu les brûleras ! dit Flavien, dont la conversation empêcha Thierray d’ouvrir le tiroir, en donnant un autre cours à ses idées. Je te parle sérieusement, il ne faut pas manquer sottement ce mariage.

— Mais, au contraire, il faut le manquer, reprit Thierray, puisque j’y vois des soucis et des dangers qui ne seront jamais compensés par les vanités de la fortune.

— Eh bien manque-le ; mais pas sottement, te dis-je !

— À la bonne heure, je t’écoute !

— Tu ne peux rester dans cette fausse situation vis-à-vis de Dutertre. Dutertre, homme de cœur et galant homme s’il en fut, ne doit pas attendre que tu lui demandes la main de sa fille, soit qu’il sache le coup de tête qu’elle a fait pour toi, soit qu’il se doute seulement de son inclination et de la tienne. Tu dois, en tout état de cause, faire la demande en règle, car tu risques d’être vilipendé pour ne l’avoir pas faite. De toutes façons, un refus en règle te justifie. Si on t’accepte, ma foi ! c’est un joli pis-aller que d’épouser un million et une femme qui fait des folies pour vous ! ce n’est pas si fréquent dans ce froid et triste monde où nous vivons, et je t’avoue que je suis désolé de n’avoir pas de penchant pour cette jolie personne, car je serais très-flatté d’être aimé ainsi.

— Et c’est parce que j’en suis flatté que je me méfie d’un amour qui prendrait sa source dans la vanité satisfaite, répondit Thierray. J’ai une peur affreuse de la richesse et de la gloriole ; c’est avec cela qu’on vit misérable de cœur et qu’on meurt misérable d’esprit.

Les deux amis prolongèrent leur veillée sur ce thème, débattu obstinément de part et d’autre. Flavien ne faisait